Into the unknown
Le jeudi soir je roule vers Paris. Depuis la Suisse, c'est une Alsace endormie que je traverse, indolente presque, avec ses campagnes et la lumière pâle du bout de soleil qui se couche. À Strasbourg seulement, la gare s'agite. Le train se rempli d'un coup et m'offre des visages à scruter discrètement. Comme souvent, je m'interroge sur cette tristesse dans les yeux des gens qui voyagent. Ais-je la même? Est-ce parce que, au fond, on sait qu'on ne va jamais vraiment ailleurs? Je ne sais pas, plus, de toute manière j'ai la tête toute retournée d'envies et de questions pas bien claires. Je me laisse bercer par le tressaillement des railes, mon nouveau sac en bandoulière, des mélodies coupe-monde dans les oreilles. Je souris à l'éternelle assurez-vous que vous n'avez rien oublié dans le train car je sais qu'on y laisse toujours un peu quelque chose, une sorte de regret du mouvement qu'on ne s'explique pas.
Gare
de l'Est tout de suite tout s'accélère. Le métro, des retrouvailles,
des conversations, quelques regards, la route la nuit qu'on reprend
immédiatement , en voiture cette fois, volant tourné plein Nord. J'ai
un sursaut de joie quand on passe du côté belge, un nouveau pays en
perspective, encore une frontière qui s'abolît dans mon espace mental.
J'ai des bribes de chansons de Brel dans la tête.
Puis
c'est l'arrivée à Bruxelles qui se la joue labyrinthe nocturne. Les
tunnels fermés, rester en surface mais se perdre quand même. Paupières
qui tombent et fourmis dans les jambes. Mais quand on arrive - enfin -
les sourires sont chauds et doux et pleins de rires en perspectives.
C'est bon d'être là, avec eux. Je les découvre chaque fois mieux et
j'aime leur manière de créer mille mondes imaginaires en plus et de
jouer librement avec ceux qui existent. Leur tanière est remplie de
mots qui volent partout. Je me sens bien.
Et il y a aussi - dans le désordre - les bières de fille, la fraîcheur issue de la rencontre italo-américaine, les pavés de Gand, les rires autour de sombres histoires de papier de toilette volé, les fragments de défilé de la Zinneke Parade,
les découvertes culinaires belges, les jésuites et les tapirs, les
avocates ivres, les déambulations dans une Bruxelles noctambule qui
charme et surprend; il y a ce qu'on dit et ce qu'on garde pour soi, par
pudeur et qu'on confie en pensée au jour qui se lève.
Dimanche,
dans le train du retour, j'ai beaucoup lu. J'avais en face de moi des
anglaises qui babillaient à mi-voix. Je lisais avec le coeur à l'orée
des larmes. Je me suis fais la réflexion qu'on lit souvent mal quand on
est dans l'urgence de découvrir et d'être troublée. Et qu'on sait
parfois mieux déchiffrer lorsqu'on a atteint la mélancolie du savoir.